Droit à l’image des biens

Les enjeux méconnus du droit à l’image des biens

Qu’est-ce que le droit à l’image des biens ?

La notion du droit à l’image des biens

Contrairement au droit à l’image des personnes, qui découle du respect de la vie privée (article 9 du code civil), le droit à l’image des biens n’est pas un droit fondamental reconnu par la loi.

En France, le principe est la liberté de photographier ou de filmer un bien (immeuble, objet, œuvre d’art, etc.) sans l’autorisation de son propriétaire, sauf dans certains cas particuliers.

Le droit de propriété sur le bien a été la base de la reconnaissance d’un droit sur l’image du bien. En effet, l’article 544 du code civil dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Ainsi, le droit de propriété sur un bien autoriserait le propriétaire du bien à jouir de toutes les utilités de celui-ci, et, de ce fait, de jouir de l’utilité incarnée par l’image de ce bien. L’exploitation de l’image d’un bien peut être source d’une activité économique de l’exploitation de l’image qui consiste à l’en tirer de la valeur.

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L’évolution jurisprudentielle sur la notion de droit à l’image des biens : de l’attribut du droit de propriété au trouble anormal

La jurisprudence a donc érigé, sur le fondement de l’article 544 du Code civil, un droit sur l’image du bien en tant qu’attribut de la propriété :

-        L’arrêt Café Gondrée (Cas., 10 mars 1999) consacre le droit du propriétaire sur l’image de son bien. Le propriétaire détient le droit d’exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit.

-        Puis, la jurisprudence considère que le droit à l’image du bien est l’attribut de la jouissance du droit de propriété. Le propriétaire du bien est en droit de recueillir les fruits de l’exploitation de l’image de son bien car elle constituerait une utilité pour le propriétaire qui est conférée par le pouvoir absolu du droit de propriété. En pratique, la conséquence de cette consécration est l’obligation de demander l’autorisation du propriétaire du bien afin d’exploiter l’image de son bien.

-        La Cour de cassation va infléchir cette position. Dès lors, pour sanctionner l’utilisation non consentie de l’image de leur bien, les propriétaires doivent expliquer en quoi l’utilisation de l’image cause un trouble certain à leur droit de jouissance (arrêt du 2 mai 2001, arrêt Ilot de Roch Arhon).

-        Enfin, la Cour de cassation affirme désormais, depuis un arrêt Hôtel de Girancourt que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci » (Cass. 7 mai 2004 n°02-10450).

Finalement, le principe est la libre exploitation de l’image des biens, sauf si le propriétaire s’y oppose en démontrant un trouble anormal : le mal est déjà fait à ce moment-là et il ne pourra qu’obtenir réparation de ce trouble. Pour être anormal, le trouble doit traduire un comportement illégitime de celui qui en est à l’origine selon la Cour d’appel d’Orléans dans sa décision du 15 février 2007. Ce trouble anormal est qualifié de perturbation qui portera sur l’affectation des attributs de propriété.

Le trouble anormal est la condition essentielle permettant à un propriétaire d'agir en justice contre l’exploitation de l’image de son bien. Dès lors, il ne suffit pas que le bien ait été photographié, il faut que cela entraine un préjudice réel et sérieux pour le propriétaire du bien.

Cas particuliers

L’image des immeubles

Un immeuble visible depuis la voie publique peut généralement être photographié librement. Toutefois, si les images sont utilisées dans un but commercial ou portent atteinte à l’intimité des occupants, il convient d’obtenir une autorisation préalable.

La protection du droit d’auteur sur certains biens

Un architecte ou un artiste peut détenir un droit d’auteur sur l’aspect esthétique d’un bien (façade d’un bâtiment, sculpture, fresque). Ce droit peut restreindre l’exploitation commerciale de l’image, même si le bien appartient à un tiers.

En effet, l’article L. 111-1 du Code de propriété intellectuelle offre une protection du droit d’auteur aux œuvres originales, du seul fait de leur création. Cela peut être le cas d’un bien meuble ou même immeuble. Notamment l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle mentionne expressément les œuvres architecturales comme pouvant bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Les œuvres d’art visibles dans l’espace public (sculptures, bâtiments contemporains) peuvent être protégées et il faut alors obtenir l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit pour toute utilisation de leur image.

En effet l’exploitation de l’image d’une œuvre sans autorisation peut être considéré comme une atteinte au droit de représentation de l’œuvre : « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelques moyens que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur » (art. L335-3 du Code de la propriété intellectuelle).

Quid si le bien, support de l’œuvre, appartient à une autre personne que son auteur (par exemple, un architecte crée une maison qui est vendue à des tiers) ?

Le propriétaire du bien-support, n’est pas libre d’en disposer comme il l’entend. Cela implique donc une limitation au droit de propriété, qui, pourtant, est l’un des droits fondamentaux en France.

Pour prendre l’exemple d’une maison créée par un architecte et acquise par un tiers : le propriétaire de la maison est propriétaire de support de l’œuvre et l’architecte dispose des droits d’auteur sur sa création (qui est formalisée en la création de la maison).

Dès lors, le propriété peut jouir du bien matériel – la maison – mais certaines exploitations de la maison seront limitées telles que des modifications de la maison (qui peuvent porter atteintes au droit au respect de l’œuvre) ou encore la prise de photos et l’exploitation de l’image de la maison (qui peut porter atteinte au droit de représentation de l’œuvre).

L’exception de panorama !

La loi pour une République numérique en date du 7 octobre 2016 introduit dans le droit français une exception : l’exception de panorama. Cette exception n’est pourtant pas nouvelle puisqu’elle fait référence à l’article 5.3 h) de la directive européenne 2001/29.

Cette exception permet aux photographes particuliers (excluant donc les professionnels et les associations ou les sociétés, c’est-à-dire les personnes morales, ne peuvent pas se prévaloir de cette liberté de panorama) de reproduire et d’exploiter à des fins non commerciales une œuvre architecturale ou sculpturale protégée par le droit d’auteur, si celle-ci est dans le domaine public de façon permanente. 

Ainsi, l’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit lorsque le titulaire d’une œuvre a usé de son droit de divulgation, (qu’il a dévoilé son œuvre au public au moment et de la manière qu’il souhaite) qu’il ne peut interdire « les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l'exclusion de tout usage à caractère commercial ».

Par conséquent, si ces conditions cumulatives sont remplies, il semble que l’autorisation de l’auteur ne soit pas nécessaire. 

Droit de propriété sur l’image : domaine public

L’État ou les collectivités publiques ne peuvent pas s’opposer à la reproduction de l’image d’un bien public, sauf si celle-ci est exploitée à des fins commerciales pouvant nuire à la mission de service public ou à l’image du lieu.

De plus, les droits d’auteur sur les biens originaux protégés s’éteignent 70 ans après la mort de leur auteur, ce qui les fait entrer dans le domaine public.

La tour Eiffel de nuit : entre domaine public et protection du droit d’auteur

La tour Eiffel est entrée dans le domaine public, mais son éclairage nocturne est une œuvre protégée par le droit d’auteur.

La Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel, en considérant que « la composition de jeux de lumière destinés à révéler et à souligner les lignes et les formes du monument constituait une "création visuelle" originale, et, partant, une œuvre de l'esprit » (Civ. 1re, 3 mars 1992, n° 90-18.081).

Sa reproduction commerciale nécessite donc une autorisation et peut entraîner le paiement d’une redevance.

Les œuvres d’art dans les musées 

●      Si l’œuvre (couvrant support et œuvre immatérielle) qui appartient au domaine public est protégée par le droit d’auteur et que c’est le musée qui l’expose qui détient les droits d’auteur : il peut empêcher la reproduction, la représentation et la communication largement au public de cette œuvre.

●      Si l’œuvre n’est plus protégée au titre du droit d’auteur, est ce que le musée public, qui ne détient plus que le support, peut empêcher la photographie de ce support? Non car il n’existe pas de facto de droit à l’image des biens meubles ou immeubles (s’applique ainsi la solution de droit commun).

En revanche, si une œuvre d’art est photographiée dans une logique d’exploitation commerciale des clichés, l’hypothèse est différente. Les juges considèrent que la prise de vue de ces supports meubles appartenant à un musée public consisterait en une occupation du domaine public (CE, 23 décembre 2016, n°378879).

Dès lors que ces prises de vues ont été faites à titre commercial, il y a une utilisation privative du domaine public, ce qui nécessite une autorisation pour occuper ce domaine, moyennant le paiement de redevance. 

 « la prise de vue d’œuvre des collections relevant d’un musée à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues doit être regardée comme une utilisation privative du domaine public mobilier impliquant la nécessité pour celui qui entend y procéder d’obtenir une autorisation fondée sur les articles 1er CG3P et article L.2122-1 CG3P ».

Il est possible de penser qu’il y a une forme d’opportunisme dans ces décisions, au travers d’une volonté de permettre d’assurer la fréquentation dans les musées, cela peut s’apparenter à une forme de privatisation de l’image de ces biens.  

Droit sur l’image des biens appartenant au domaine national

Régime de la loi de 2016 sur les biens appartenant au domaine national et leur image

Qu’est-ce qu’un domaine national ? 

•   Article L.621-34 code du patrimoine :

L’ensemble de mobilier présentant un lien exceptionnel avec l’Histoire de la Nation et dont l'État est (en partie) propriétaire.

•   Article L. 621-35 code du patrimoine :

Il y a une liste des domaines nationaux, déterminée par décret en Conseil d’État, sur proposition du ministre de la Culture.

Les domaines nationaux peuvent comprendre des biens immobiliers appartenant à l'État, à des collectivités territoriales, à des établissements publics ou bien même à des personnes privées.

•   Article L.621-37 code du patrimoine :

Les parties d'un domaine national qui appartiennent à l'État ou à l'un de ses établissements publics sont de plein droit intégralement classées au titre des monuments historiques.

Elles sont inconstructibles, sauf pour leur entretien ou à leur visite par le public ou s'inscrivant dans un projet de restitution architecturale, de création artistique ou de mise en valeur. 

•   Article L. 621-42 code du patrimoine :

Pour utiliser l’image des immeubles appartenant aux domaines nationaux, il faut obtenir une autorisation préalable du gestionnaire. Cela peut passer par un acte unilatéral ou un contrat, comprenant ou non des conditions financières.

Il n’y a pas besoin d’autorisation si l’exploitation de l’image s'inscrit dans le cadre d’une mission de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignements, de recherches, d’information ou illustration de l’actualité.

En cas d’utilisation de l’image sans autorisation, il est possible de demander réparation devant juridictions administratives. Cet acte s’apparente alors à une faute délictuelle de contrefaçon pour laquelle la simple atteinte au droit suffit à démontrer la faute.

Par ailleurs, un QPC (question prioritaire de constitutionnalité) a été soulevée par les associations Wikimédia France et La Quadrature du Net considérant que ce régime pouvait porter atteinte à la liberté d’entreprendre dans l’interdiction de commercialiser les images des domaines nationaux. Le Conseil constitutionnel a pourtant considéré que le texte respecte la Constitution et n’a pas fait droit aux demandes du requérant.

CE  13-4-2018 n°397047, Établissement public du domaine national de Chambord c/ Société Kronenbourg

La société Kronenbourg avait utilisé l’image du Château de Chambord dans une publicité sans autorisation. Le domaine national a obtenu gain de cause, car il s’agissait d’un bien du domaine public dont l’exploitation commerciale portait atteinte à ses intérêts économiques.

Ainsi, l’utilisation de l’image du domaine national sans autorisation constitue une faute entraînant l’engagement de la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble.

Conseils pour éviter une atteinte au droit à l’image des biens

●      Obtenir en amont une autorisation écrite pour toute utilisation commerciale de l’image d’un bien privé.

●      Éviter de diffuser des images de domiciles ou de lieux privés visibles depuis la rue sans accord.

●      S’assurer que les œuvres d’art ou d’architecture photographiées ne sont pas protégées par le droit d’auteur.

●      En cas de doute, opter pour des images libres de droits

Conclusion

Le droit à l’image des biens repose sur un équilibre entre liberté de création, droit de propriété et respect du droit d’auteur. Même si le principe reste la liberté de photographier, des exceptions existent, notamment en cas d’exploitation commerciale ou d’atteinte aux droits d’un tiers. Il est donc essentiel de bien connaître le cadre légal avant de diffuser ou utiliser l’image d’un bien.

Si vous avez des doutes ou besoin d’être conseillé, pensez à contacter un avocat spécialisé en propriété intellectuelle et droit à l’image comme notre cabinet.

Contacter maître Kibler et son équipe.

 

FAQ !

Puis-je photographier une maison, est ce que mon voisin peut prendre des photos de chez moi ?

Oui, si elle est visible depuis l’espace public et que la photo est utilisée dans un cadre privé ou éditorial.

En revanche, une utilisation commerciale (vente de cartes postales, publicité, etc.) peut nécessiter une autorisation du propriétaire.

Notamment, selon ce qui est identifiable sur la photo, cela peut être une atteinte à la vie privée, sanctionnée sur le fondement de l’article 9 du Code civil.

Est-il légal de prendre des photos d'une voiture pour la vendre ?

Oui, tant que la voiture vous appartient ou que vous avez l’autorisation de son propriétaire, et que la photo ne révèle pas d’éléments privés (adresse, personnes, plaque visible, etc.).

Suis-je propriétaire d’une photo si je l’ai prise ?

Par principe, la personne qui prend une photo en est titulaire, et, dans le cas où cette photo est protégée par le droit d’auteur, titulaire des droits d’auteur.

Cependant, le contexte de prise de la photo peut changer la titularité notamment :

  • En cas de prise de photo dans le cadre d’un contrat de travail ;

  • En cas de commande d’un client avec cession de droits d’auteur ;

  •  En cas de photographie d’une œuvre elle-même protégée : un bien meubles ou immeubles faisant l’objet de droit d’auteur. Dans ce cas, vous êtes titulaire de la photo, mais vous ne pouvez pas l’exploiter commercialement librement.

En cas de question sur la titularité des droits sur une photographie et de la possibilité d’exploiter la photographie, vous pouvez nous contacter.

Où est-il interdit de prendre des photos sans autorisation ?

Il est interdit de prendre de photo sans autorisation à l’intérieur de lieux privés. Sans autorisation, ce type de photo peut être considéré comme une atteinte à la vie privée de la personne à qui appartient le lieu en question.

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Comment savoir si une image est libre de droit ?

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