La présomption d'innocence et la presse
Qu'est-ce que la présomption d'innocence ?
La présomption d’innocence est un principe fondamental selon lequel toute personne accusée est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement établie. Ce droit est inscrit à l’article 6 §2 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
En droit français, ce principe est également garanti par l’article 9-1 du Code civil qui dispose que :
- « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence
Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage à intervenir, prescrire toutes mesures telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne physique ou morale, responsable de cette atteinte ».
Il s’agit là du fondement permettant de sanctionner toute atteinte publique à la présomption d’innocence, notamment dans les médias.
Liberté de la presse : un droit fondamental
La présomption d’innocence se trouve régulièrement mise en balance avec d’autres droits fondamentaux, notamment le droit à la liberté d’expression et, plus spécifiquement, la liberté de la presse. Ces libertés sont essentielles au fonctionnement d’un État démocratique, car elles permettent l’information du public, la dénonciation de dysfonctionnements institutionnels, et le contrôle citoyen du pouvoir.
La liberté de la presse est consacrée tant au niveau national (article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) qu’européen (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme), comme un droit fondamental. Elle autorise la presse à relater des faits, y compris judiciaires, dans le respect de l’information du public et de l’intérêt général.
Cependant, ce droit n’est pas absolu. Il trouve ses limites dès lors qu’il entre en conflit avec d’autres droits fondamentaux, tels que le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée, ou encore le respect de la dignité humaine.
C’est précisément dans cette optique que le législateur français est intervenu pour mieux protéger les personnes mises en cause dans le cadre judiciaire. La loi du 15 juin 2000, dite loi Guigou, a apporté un encadrement strict, en interdisant la diffusion de l’image d’une personne mise en cause dans une procédure pénale, mais non encore condamnée, lorsque celle-ci est représentée en situation humiliante : menottée, entravée ou en détention.
Ce dispositif est inscrit à l’article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lequel prévoit une amende en cas de diffusion non autorisée, pouvant aller jusqu’à 15 000 euros.
La loi du 15 juin 2000 a également instauré la pratique dite des « fenêtres d’information », permettant au procureur de la République de rendre publics, soit d’office, soit à la demande du juge ou des parties, des éléments objectifs issus de la procédure, notamment afin de prévenir la diffusion d’informations inexactes.
Ce texte vise à éviter une condamnation médiatique anticipée et à préserver l’état d’innocence jusqu’à ce que la culpabilité soit légalement établie. Il souligne l’importance pour les médias de respecter une déontologie rigoureuse, en s’abstenant de porter atteinte à l’image publique d’un justiciable non encore jugé. L’objectif est de prévenir une "justice médiatique", souvent fondée sur l’émotion ou la présomption de culpabilité, qui peut gravement nuire à l’impartialité du procès.
État des lieux du conflit entre liberté de la presse et présomption d’innocence
Exemple de la mise en balance de la liberté de la presse et de la présomption d’innocence.
Un exemple particulièrement parlant de la mise en balance entre liberté d'expression et respect de la présomption d'innocence est l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 décembre 2022 (1re chambre civile, n° 21-20.188). Dans cette affaire, un professeur des universités, radié de la fonction publique à la suite de sa mise en examen, a intenté une action en justice estimant que plusieurs articles publiés sur un site d’information portaient gravement atteinte à sa présomption d’innocence.
La Cour rappelle dans sa décision un principe fondamental :
« Le droit à la présomption d'innocence et la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. »
En analysant les contenus publiés, la Cour relève plusieurs expressions problématiques, telles que :
● « Sanction définitive »
● « Illégalement perçu »
● « Complices »
● « Rendre des comptes »
● « Système mafieux »
Et même : « présumé responsable »
Ces formulations suggèrent de manière explicite ou implicite la culpabilité du professeur, alors qu’il n’avait pas encore été jugé. En conséquence, la Cour de cassation a considéré que ces propos formulent des conclusions définitives sur la culpabilité de la personne, sans précaution de langage ni mention claire de son statut juridique réel.
Elle conclut donc que les limites admissibles de la liberté d’expression ont été dépassées. L'atteinte à la présomption d'innocence était caractérisée, car les articles tendaient à présenter l'intéressé comme coupable de faits dont il n’avait pas été jugé.
Cette décision est révélatrice de la vigilance des juridictions françaises à protéger la présomption d’innocence face aux excès médiatiques.
Elle rappelle aux journalistes et éditeurs de contenu que, même lorsqu’ils rapportent des faits d’intérêt public, la prudence s’impose dans le choix des termes. Employer des expressions qui laissent penser que la culpabilité est acquise peut constituer une violation des droits fondamentaux, et ouvrir droit à des dommages et intérêts.
L’affaire d’Outreau demeure l’un des symboles les plus forts de la dérive possible entre justice et médias. Dès les premières révélations, plusieurs personnes ont été publiquement désignées comme coupables d’actes de pédophilie, bien avant toute condamnation définitive.
En 2006, Robert Solé, alors médiateur du journal Le Monde, a relayé de nombreuses critiques de lecteurs mettant en cause le rôle de certains journalistes dans le traitement de cette affaire.
Nombreux sont ceux qui ont dénoncé une couverture médiatique précipitée et spectaculaire, contribuant au naufrage judiciaire que fut le procès d’Outreau.
L’impact des réseaux sociaux : une justice parallèle
Avec l’explosion des réseaux sociaux, la présomption d’innocence est mise à rude épreuve. Les utilisateurs partagent, commentent, jugent, souvent sans attendre l’issue d’une procédure judiciaire. La viralité d’une rumeur ou d’une photo compromettante peut avoir des effets dévastateurs.
Les plateformes deviennent alors des tribunaux populaires, et la personne accusée est souvent considérée comme coupable avant même d’être jugée. Cette justice médiatique remet en cause les fondements mêmes de notre système judiciaire.
Quelles sanctions en cas d’atteinte à la présomption d’innocence ?
Lorsqu’une personne est publiquement présentée comme coupable avant sa condamnation, elle peut :
● Saisir le juge des référés pour faire cesser l’atteinte (par exemple, diffusion d’un communiqué ou rectification) ;
● Engager une action en dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi ;
● Déposer plainte pour diffamation, si les propos tenus sont infamants.
La présomption d’innocence peut être violée même sans nommer directement une personne. Il suffit qu’elle soit identifiable, par des éléments permettant de faire le lien avec un individu réel. Cette atteinte peut survenir notamment lorsqu’un personnage présenté comme coupable, même dans une œuvre de fiction, renvoie de manière reconnaissable à une personne existante.
Afin d’assurer la protection du droit au respect de la présomption d’innocence, « les juges déterminent souverainement les modalités propres à assurer la réparation d’une atteinte aux droits de la personnalité, peu important qu’ils ordonnent, alternativement ou cumulativement, une indemnité provisionnelle ou une publication judiciaire ». (Cour de cassation, 2 octobre 2007, Civ 1).
Ces recours s’appliquent tant à la presse écrite qu’aux médias audiovisuels et numériques.
Que faire si l’on est victime d’une atteinte à la présomption d’innocence ?
Si vous ou l’un de vos proches êtes mis en cause dans les médias ou sur les réseaux sociaux, vous pouvez :
Contacter un avocat spécialisé pour évaluer la situation juridique ;
Demander une rectification immédiate aux médias concernés ;
Saisir le juge des référés pour obtenir des mesures conservatoires ;
Envisager une plainte pour diffamation ou atteinte à la vie privée.
Peut-on prévenir une atteinte à la présomption d’innocence ?
Oui, les avocats spécialisés en droit des médias peuvent agir en amont, notamment en surveillant les publications à venir, en rédigeant des mises en garde légales aux médias, ou en exerçant un droit de réponse immédiat. Cette vigilance permet souvent d’éviter des publications préjudiciables ou d’en limiter la portée.
Exceptions à la présomption d’innocence
Il existe, bien que de manière exceptionnelle, certains cas dérogatoires à la présomption d’innocence, notamment en matière procédurale ou répressive, où la loi établit des présomptions de culpabilité. Ces mécanismes sont strictement encadrés, car ils font exception à un principe fondamental du droit pénal.
Par exemple :
- Une personne qui se livre de manière habituelle à la prostitution peut être présumée commettre un acte de proxénétisme, sans qu’il soit nécessaire d’en apporter immédiatement la preuve complète.
- De même, des marchandises prohibées découvertes dans le rayon douanier sans titre de circulation valide sont réputées introduites en fraude, sauf preuve contraire.
Dans ces situations, on parle de présomptions légales de culpabilité. Celles-ci ne renversent pas totalement la charge de la preuve, mais elles imposent à la personne poursuivie d’apporter des éléments pour se disculper. Ces présomptions ne sont admises qu’à condition de rester réfragables, c’est-à-dire qu’elles doivent pouvoir être combattues par une preuve contraire, conformément à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
FAQ : La présomption d’innocence en pratique
Quelles sont les limites à la présomption d’innocence ?
La présomption d’innocence cesse au moment de la condamnation définitive. Toutefois, certaines situations comme la détention provisoire ou les mesures de contrôle judiciaire peuvent restreindre la liberté de l’accusé, sans remettre en cause son innocence présumée.
Quand commence la présomption d’innocence ?
Elle commence dès l’ouverture de l’enquête ou de l’instruction, avant toute audience. Elle s’applique à toute personne mise en cause, indépendamment de la gravité des faits reprochés.
Vous estimez être victime d’une atteinte à la présomption d’innocence ? Nous pouvons vous aider à défendre vos droits.